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LES ROUGON-MACQUART

avec leurs gros souliers, leurs livres pendus derrière le dos, au bout d’une courroie.

Renée, qui voulait prendre au sérieux son rôle de mère et d’institutrice, était enchantée de son élève. Elle ne négligeait rien, il est vrai, pour parfaire son éducation. Elle traversait alors une heure pleine de dépit et de larmes ; un amant l’avait quittée, avec scandale, aux yeux de tout Paris, pour se mettre avec la duchesse de Sternich. Elle rêva que Maxime serait sa consolation, elle se vieillit, s’ingénia pour être maternelle, et devint le mentor le plus original qu’on pût imaginer. Souvent, le tilbury de Maxime restait à la maison ; c’était Renée, avec sa grande calèche, qui venait prendre le collégien. Ils cachaient le portefeuille marron sous la banquette, ils allaient au Bois, alors dans tout son neuf. Là, elle lui faisait un cours de haute élégance. Elle lui nommait le tout Paris impérial, gras, heureux, encore dans l’extase de ce coup de baguette qui changeait les meurt-de-faim et les goujats de la veille en grands seigneurs, en millionnaires soufflant et se pâmant sous le poids de leur caisse. Mais l’enfant la questionnait surtout sur les femmes, et comme elle était très libre avec lui, elle lui donnait des détails précis ; madame de Guende était bête, mais admirablement faite ; la comtesse Vanska, fort riche, avait chanté dans les cours, avant de se faire épouser par un Polonais, qui la battait, disait-on ; quant à la marquise d’Espanet et à Suzanne Haffner, elles étaient inséparables, et, bien qu’elles fussent ses amies intimes, Renée ajoutait, en pinçant les lèvres, comme pour n’en pas dire davantage, qu’il courait de bien vilaines histoires sur leur compte ; la belle madame de Lauwerens était aussi horriblement compromettante,