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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

nait dans la tête. Lui, le pauvre homme, me faisait pitié, à claquer des dents. Il avait peur de moi. Quand vous n’étiez plus là, il n’osait approcher, il passait la nuit sur une chaise.

L’abbé Faujas essaya de l’interrompre.

— Vous vous tuez, dit-il. Ne remuez pas ces souvenirs. Dieu vous tiendra compte de vos souffrances.

— C’est moi qui l’ai envoyé aux Tulettes, reprit-elle, en lui imposant silence d’un geste énergique. Vous tous, vous me disiez qu’il était fou… Ah ! quelle vie intolérable ! Toujours, j’ai eu l’épouvante de la folie. Quand j’étais jeune, il me semblait qu’on m’enlevait le crâne et que ma tête se vidait. J’avais comme un bloc de glace dans le front. Eh bien ! cette sensation de froid mortel, je l’ai retrouvée, j’ai eu peur de devenir folle, toujours, toujours… Lui, on l’a emmené. J’ai laissé faire. Je ne savais plus. Mais, depuis ce temps, je ne peux fermer les yeux, sans le voir, là. C’est ce qui me rend singulière, ce qui me cloue pendant des heures à la même place, les yeux ouverts… Et je connais la maison, je l’ai dans les yeux. L’oncle Macquart me l’a montrée. Elle est toute grise comme une prison, avec des fenêtres noires.

Elle étouffait. Elle porta à ses lèvres un mouchoir, qu’elle retira taché de quelques gouttes de sang. Le prêtre, les bras croisés fortement, attendait la fin de la crise.

— Vous savez tout, n’est-ce pas ? acheva-t-elle en balbutiant. Je suis une misérable, j’ai péché pour vous… Mais donnez-moi la vie, donnez-moi la joie, et j’entre sans remords dans ce bonheur surhumain que vous m’avez promis.

— Vous mentez, dit lentement le prêtre, je ne sais rien, j’ignorais que vous eussiez commis ce crime.

Elle recula à son tour, les mains jointes, bégayant, fixant sur lui des regards terrifiés. Puis, emportée, perdant conscience, se faisant familière :