tendre que ces histoires de fou attristaient les dames ; il voulut qu’on parlât d’autre chose. Mais la curiosité était éveillée, les deux sociétés se mirent à épier les moindres actes de Mouret. Celui-ci ne descendait plus qu’une heure par jour au jardin, après le déjeuner, pendant que les Faujas restaient à table avec sa femme. Dès qu’il y avait mis les pieds, il tombait sous la surveillance active de la famille Rastoil et des familiers de la sous-préfecture. Il ne pouvait s’arrêter devant un carré de légumes, s’intéresser à une salade, hasarder un geste, sans donner lieu, à droite et à gauche, dans les deux jardins, aux commentaires les plus désobligeants. Tout le monde se tournait contre lui. M. de Condamin seul le défendait encore. Mais, un jour, la belle Octavie lui dit, en déjeunant :
— Qu’est-ce que cela peut vous faire que ce Mouret soit fou ?
— À moi ? chère amie, absolument rien, répondit-il, étonné.
— Eh bien ! alors, laissez-le fou, puisque tout le monde vous dit qu’il est fou… Je ne sais quelle rage vous avez d’être d’un autre avis que votre femme. Cela ne vous portera pas bonheur, mon cher… Ayez donc l’esprit, à Plassans, de n’être pas spirituel.
M. de Condamin sourit.
— Vous avez raison comme toujours, dit-il galamment ; vous savez que j’ai mis ma fortune entre vos mains… Ne m’attendez pas pour dîner. Je vais à cheval jusqu’à Saint-Eutrope, pour donner un coup d’œil à une coupe de bois.
Il partit, mâchonnant un cigare.
Madame de Condamin n’ignorait pas qu’il avait des tendresses pour une petite fille, du côté de Saint-Eutrope. Mais elle était tolérante, elle l’avait même sauvé deux fois des conséquences de très-vilaines histoires. Quant à lui, il était