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Qu’on aille vite au café du Commerce, sur le cours Napoléon. On l’y trouvera à coup sûr.

Cinq minutes plus tard, M. Cauche arrivait, ramené par un homme d’équipe. Ancien officier, considérant son emploi comme une retraite, il ne paraissait jamais à la gare avant dix heures, y flânait un moment, et retournait au café. Ce drame, tombé entre deux parties de piquet, l’avait d’abord étonné, car les affaires qui passaient par ses mains étaient d’ordinaire peu graves. Mais la dépêche venait bien du juge d’instruction de Rouen ; et, si elle arrivait douze heures après la découverte du cadavre, c’était que ce juge avait d’abord télégraphié à Paris, au chef de gare, pour savoir dans quelles conditions la victime était partie ; puis, renseigné sur le numéro du train et sur celui de la voiture, il avait alors seulement envoyé, au commissaire de surveillance, l’ordre de visiter le coupé qui se trouvait dans la voiture 293, si cette voiture était encore au Havre. Tout de suite, la mauvaise humeur que M. Cauche montrait, d’avoir été dérangé inutilement sans doute, disparut et fit place à une attitude d’extrême importance, proportionnée à la gravité exceptionnelle que prenait l’affaire.

— Mais, s’écria-t-il, subitement inquiet, avec la peur de voir l’enquête lui échapper, la voiture ne doit plus être ici, elle a dû repartir ce matin.

Ce fut Roubaud qui le rassura, de son air calme.

— Non, non, faites excuse… Il y avait un coupé retenu pour ce soir, la voiture est là, sous la remise.

Et il marcha le premier, le commissaire et le chef de gare le suivirent. Cependant, la nouvelle devait se répandre, car les hommes d’équipe, sournoisement, quittaient la besogne, suivaient eux aussi ; tandis que, sur les portes des divers services, des employés se montraient, finissaient par s’approcher, un à un. Bientôt, il y eut là un rassemblement.