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fourré sa main droite dans sa poche, où elle tenait un objet, qu’elle ne sortait pas.

— Dis vite : Mon petit cadeau.

Lui, riait aussi, en bon homme. Il se décida.

— Mon petit cadeau.

C’était un couteau qu’elle venait de lui acheter, pour en remplacer un qu’il avait perdu et qu’il pleurait, depuis quinze jours. Il s’exclamait, le trouvait superbe, ce beau couteau neuf, avec son manche en ivoire et sa lame luisante. Tout de suite, il allait s’en servir. Elle était ravie de sa joie ; et, en plaisantant, elle se fit donner un sou, pour que leur amitié ne fût pas coupée.

— Mangeons, mangeons, répéta-t-elle. Non, non ! je t’en prie, ne ferme pas encore. J’ai si chaud !

Elle l’avait rejoint à la fenêtre, elle demeura là quelques secondes, appuyée à son épaule, regardant le vaste champ de la gare. Pour le moment, les fumées s’en étaient allées, le disque cuivré du soleil descendait dans la brume, derrière les maisons de la rue de Rome. En bas, une machine de manœuvre amenait, tout formé, le train de Mantes, qui devait partir à quatre heures vingt-cinq. Elle le refoula le long du quai, sous la marquise, fut dételée. Au fond, dans le hangar de la Ceinture, des chocs de tampons annonçaient l’attelage imprévu de voitures qu’on ajoutait. Et, seule, au milieu des rails, avec son mécanicien et son chauffeur, noirs de la poussière du voyage, une lourde machine de train omnibus restait immobile, comme lasse et essoufflée, sans autre vapeur qu’un mince filet sortant d’une soupape. Elle attendait qu’on lui ouvrît la voie, pour retourner au Dépôt des Batignolles. Un signal rouge claqua, s’effaça. Elle partit.

— Sont-elles gaies, ces petites Dauvergne ! dit Roubaud en quittant la fenêtre. Les entends-tu taper sur leur piano ?… Tout à l’heure, j’ai vu Henri, qui m’a dit de te présenter ses hommages.