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comme s’il se fût attendu à d’autres événements. Mais c’était bien tout, il baissa la tête, regarda un instant la terre.

En marchant le long du quai, les deux hommes étaient arrivés au bout de la halle couverte, à l’endroit où, sur la droite, se trouvait une remise, dans laquelle stationnaient les wagons de roulement, ceux qui, arrivés la veille, servaient à former les trains du lendemain. Et il avait relevé le front, ses regards s’étaient fixés sur une voiture de première classe, pourvue d’un coupé, le numéro 293, qu’un bec de gaz justement éclairait d’une lueur vacillante, lorsque l’autre s’écria :

— Ah ! j’oubliais…

La face pâlie de Roubaud se colora, et il ne put retenir un léger mouvement.

— J’oubliais, répéta Moulin. Il ne faut pas que cette voiture parte, ne la faites pas mettre ce matin dans l’express de six heures quarante.

Il y eut un court silence, avant que Roubaud demandât, d’une voix très naturelle :

— Tiens ! pourquoi donc ?

— Parce qu’il y a un coupé retenu pour l’express de ce soir. On n’est pas sûr qu’il en vienne dans la journée, autant garder celui-là.

Il le regardait toujours fixement, il répondit :

— Sans doute.

Mais une autre pensée l’absorbait, il s’emporta tout d’un coup.

— C’est dégoûtant ! Voyez-moi comme ces bougres-là nettoient ! Cette voiture semble avoir de la poussière de huit jours.

— Ah ! reprit Moulin, quand les trains arrivent passé onze heures, il n’y a pas de danger que les hommes donnent un coup de torchon… Ça va bien encore, lorsqu’ils consentent à faire la visite. L’autre soir, ils ont oublié sur