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— Eh bien, rien n’est plus simple, si vous désirez que ça finisse… Donnez-lui vos mille francs.

Un effort extraordinaire la mit debout. Et, ressuscitée, violente :

— Mes mille francs, jamais ! J’aime mieux crever… Ah ! ils sont cachés, bien cachés, va ! On peut retourner la maison, je défie qu’on les trouve… Et il l’a assez retournée, lui, le malin ! Je l’ai entendu, la nuit, qui tapait dans tous les murs. Cherche, cherche ! Rien que le plaisir de voir son nez s’allonger, ça me suffirait pour prendre patience… Faudra savoir qui lâchera le premier, de lui ou de moi. Je me méfie, je n’avale plus rien de ce qu’il touche. Et si je claquais, eh bien, il ne les aurait tout de même pas, mes mille francs ! je préférerais les laisser à la terre.

Elle retomba sur la chaise, épuisée, secouée par un nouveau son de trompe. C’était Misard, au seuil du poste de cantonnement, qui, cette fois, signalait un train allant au Havre. Malgré l’obstination où elle s’enfermait, de ne pas donner l’héritage, elle avait de lui une peur secrète, grandissante, la peur du colosse devant l’insecte dont il se sent mangé. Et le train annoncé, l’omnibus parti de Paris à midi quarante-cinq, venait au loin, d’un roulement sourd. On l’entendit sortir du tunnel, souffler plus haut dans la campagne. Puis, il passa, dans le tonnerre de ses roues et la masse de ses wagons, d’une force invincible d’ouragan.

Jacques, les yeux levés vers la fenêtre, avait regardé défiler les petites vitres carrées, où apparaissaient des profils de voyageurs. Il voulut détourner les idées noires de Phasie, il reprit en plaisantant :

— Marraine, vous vous plaignez de ne jamais voir un chat, dans votre trou… Mais en voilà, du monde !

Elle ne comprit pas d’abord, étonnée.

— Où ça, du monde ?… Ah ! oui, ces gens qui passent.