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serait repu, après quelques semaines de torpeur, sa faim effroyable se réveillerait, il lui faudrait sans cesse de la chair de femme pour la satisfaire. Même, à présent, il n’avait pas besoin de la voir, cette chair de séduction : rien qu’à la sentir tiède dans ses bras, il cédait au rut du crime, en mâle farouche qui éventre les femelles. C’était fini de vivre, il n’y avait plus devant lui que cette nuit profonde, d’un désespoir sans bornes, où il fuyait.

Quelques jours se passèrent. Jacques avait repris son service, évitant les camarades, retombé dans sa sauvagerie anxieuse d’autrefois. La guerre venait d’être déclarée, après d’orageuses séances à la Chambre ; et il y avait déjà eu un petit combat d’avant-poste, heureux, disait-on. Depuis une semaine, les transports de troupes écrasaient de fatigue le personnel des chemins de fer. Les services réguliers étaient détraqués, de continuels trains imprévus amenaient des retards considérables ; sans compter qu’on avait réquisitionné les meilleurs mécaniciens, pour activer la concentration des corps d’armée. Et ce fut ainsi qu’un soir, au Havre, Jacques, au lieu de son express habituel, eut à conduire un train énorme, dix-huit wagons, absolument bondés de soldats.

Ce soir-là, Pecqueux arriva au Dépôt très ivre. Le lendemain du jour où il avait surpris Philomène et Jacques, il était remonté sur la machine 608, comme chauffeur avec ce dernier ; et, depuis ce temps, il ne faisait aucune allusion, assombri, ayant l’air de ne point oser regarder son chef. Mais celui-ci le sentait de plus en plus révolté, refusant d’obéir, l’accueillant d’un grognement sourd dès qu’il lui donnait un ordre. Ils avaient fini par cesser complètement de se parler. Cette tôle mouvante, ce petit pont qui les emportait autrefois, si unis, n’était plus à cette heure que la planche étroite et dangereuse où se heurtait leur rivalité. La haine grandissait, ils en étaient à se dévorer dans ces quelques pieds carrés, filant à toute vitesse,