extraordinaire force de volonté. Ils prétendaient ne pas se connaître, ils se chargeaient même, uniquement pour dérouter le tribunal. Quand les interrogatoires furent terminés, l’affaire était jugée, tellement le président les avait menés avec adresse, de façon que Roubaud et Cabuche, culbutant dans les pièges tendus, parussent s’être livrés eux-mêmes. Ce jour-là, on entendit encore quelques témoins, sans importance. La chaleur était devenue si insupportable, vers cinq heures, que deux dames s’évanouirent.
Mais, le lendemain, la grosse émotion fut pour l’audition de certains témoins. Madame Bonnehon eut un véritable succès de distinction et de tact. On écouta avec intérêt les employés de la Compagnie, M. Vandorpe, M. Bessière, M. Dabadie, M. Cauche surtout, ce dernier très prolixe, qui conta comment il connaissait beaucoup Roubaud, ayant souvent fait avec lui sa partie, au café du Commerce. Henri Dauvergne répéta son témoignage accablant, la presque certitude où il était d’avoir, dans la somnolence de la fièvre, entendu les voix sourdes des deux accusés, qui se concertaient ; et, interrogé sur Séverine, il se montra très discret, fit comprendre qu’il l’avait aimée, mais que la sachant à un autre, il s’était effacé loyalement. Aussi, lorsque cet autre, Jacques Lantier, fut introduit enfin, un bourdonnement monta de la foule, des personnes se levèrent pour le mieux voir, il y eut même, parmi les jurés, un mouvement passionné d’attention. Jacques, très tranquille, s’était des deux mains appuyé à la barre des témoins, du geste professionnel dont il avait l’habitude, lorsqu’il conduisait sa machine. Cette comparution qui aurait dû le troubler profondément, le laissait dans une entière lucidité d’esprit, comme si rien de l’affaire ne le regardât. Il allait déposer en étranger, en innocent ; depuis le crime, pas un frisson ne lui était venu, il ne songeait même pas à ces choses, la mémoire abolie,