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aveu, dans le saisissement de se voir découvert, il était devenu très circonspect. Que lui racontait-on là ? Ce n’était plus lui, c’était le carrier qui avait tué le président, comme il avait tué Séverine ; et, les deux fois, c’était pourtant lui le coupable, puisque l’autre frappait pour son compte et à sa place. Cette aventure compliquée le stupéfiait, l’emplissait de méfiance : sûrement, on lui tendait un piège, on mentait pour le forcer à confesser sa part de meurtre, le premier crime. Dès son arrestation, il s’était bien douté que la vieille histoire repoussait. Confronté avec Cabuche, il déclara ne pas le connaître. Seulement, comme il répétait qu’il l’avait trouvé rouge de sang, sur le point de violer sa victime, le carrier s’emporta, et une scène violente, d’une confusion extrême, vint encore embrouiller les choses. Trois jours se passèrent, le juge multipliait les interrogatoires, certain que les deux complices s’entendaient pour lui jouer la comédie de leur hostilité. Roubaud, très las, avait pris le parti de ne plus répondre, lorsque, tout d’un coup, dans une minute d’impatience, voulant en finir, cédant à un sourd besoin qui le travaillait depuis des mois, il lâcha la vérité, rien que la vérité, toute la vérité.

Ce jour-là, justement, M. Denizet luttait de finesse, assis à son bureau, voilant ses yeux de ses lourdes paupières, tandis que ses lèvres mobiles s’amincissaient dans un effort de sagacité. Il s’épuisait depuis une heure en ruses savantes, avec ce prévenu épaissi, envahi d’une mauvaise graisse jaune, qu’il jugeait d’une astuce très déliée, sous cette pesante enveloppe. Et il crut l’avoir traqué pas à pas, enlacé de toutes parts, pris au piège enfin, quand l’autre, avec un geste d’homme poussé à bout, s’écria qu’il en avait assez, qu’il préférait avouer, pour qu’on ne le tourmentât pas davantage. Puisque, quand même, on le voulait coupable, qu’il le fût au moins des vraies choses qu’il avait faites. Mais, à mesure qu’il