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le voyant jeter des coups d’œil involontaires dans l’angle du parquet.

— Tu en as repris, hein ? demanda-t-elle brusquement.

Il leva la tête, étonné.

— De quoi donc ?

— Oh ! ne fais pas l’innocent, tu me comprends bien… Mais écoute : je ne veux pas que tu en reprennes, parce que ce n’est pas plus à toi qu’à moi, et que cela me rend malade, de savoir que tu y touches.

D’habitude, il évitait les querelles. La vie commune n’était plus que le contact obligé de deux êtres liés l’un à l’autre, passant des journées entières sans échanger une parole, allant et venant côte à côte, comme étrangers désormais, indifférents et solitaires. Aussi se contenta-t-il de hausser les épaules, refusant toute explication.

Mais elle était très excitée, elle entendait en finir avec la question de cet argent caché là, dont elle souffrait depuis le jour du crime.

— Je veux que tu me répondes… Ose me dire que tu n’y as pas touché.

— Qu’est-ce que ça te fiche ?

— Ça me fiche que ça me retourne. Aujourd’hui encore, j’ai eu peur, je n’ai pas pu rester ici. Toutes les fois que tu remues ça, j’en ai pour trois nuits à faire des rêves affreux… Nous n’en parlons jamais. Alors, reste tranquille, ne me force pas à en parler.

Il la contemplait de ses gros yeux fixes, il répéta lourdement :

— Qu’est-ce que ça te fiche que j’y touche, si je ne te force pas à y toucher ? C’est pour moi, ça me regarde.

Elle eut un geste violent, qu’elle réprima. Puis, bouleversée, avec un visage de souffrance et de dégoût :

— Ah ! tiens ! je ne te comprends pas… Tu étais un honnête homme pourtant. Oui, tu n’aurais jamais pris un