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pourquoi exiger plus de zèle ? Et il se contentait toujours de paraître un instant sur les quais de la gare, où chacun le saluait.

Trois semaines plus tard, Roubaud dut encore près de quatre cents francs à M. Cauche. Il avait expliqué que l’héritage fait par sa femme les mettait fort à leur aise ; mais il ajoutait en riant que celle-ci gardait les clefs de la caisse, ce qui excusait sa lenteur à payer ses dettes de jeu. Puis, un matin qu’il était seul, harcelé, il souleva de nouveau la frise et prit dans la cachette un billet de mille francs. Il tremblait de tous ses membres, il n’avait pas éprouvé une émotion pareille, la nuit des pièces d’or : sans doute, ce n’était encore là pour lui qu’un appoint de hasard, tandis que le vol commençait, avec ce billet. Un malaise lui hérissait la chair, lorsqu’il songeait à cet argent sacré, auquel il s’était promis de ne toucher jamais. Autrefois, il jurait de mourir plutôt de faim, et il y touchait pourtant, et il n’aurait pu dire comment s’en étaient allés ses scrupules, un peu chaque jour sans doute, dans la lente fermentation du meurtre. Au fond du trou, il croyait avoir senti une humidité, quelque chose de mou et de nauséabond, dont il eut horreur. Vivement, il replaça la frise, en refaisant le serment de se couper le poing, plutôt que de la déplacer encore. Sa femme ne l’avait pas vu, il respira, soulagé, but un grand verre d’eau pour se remettre. Maintenant, son cœur battait d’allégresse, à l’idée de sa dette payée et de toute cette somme, qu’il jouerait.

Mais, lorsqu’il fallut changer le billet, l’angoisse de Roubaud recommença. Jadis, il était brave, il se serait livré, s’il n’avait pas commis la bêtise de mêler sa femme à l’affaire ; tandis que, à présent, la seule pensée des gendarmes lui donnait une sueur froide. Il avait beau savoir que la justice ne possédait pas les numéros des billets disparus, et que, d’ailleurs, le procès dormait, à jamais enterré dans les cartons de classement : une épou-