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Jacques était envahi par cet attendrissement. Une détente invincible l’amollissait peu à peu. Il bégaya :

— Non, non, je t’aime, n’aie pas peur.

Et, débordé, il pleura aussi, sous la fatalité de ce mal abominable qui venait de le reprendre, dont jamais il ne guérirait. C’était une honte, un désespoir sans bornes.

— Aime-moi, aime-moi bien aussi, oh ! de toute ta force, car j’en ai autant besoin que toi !

Elle frissonna, voulut savoir.

— Tu as des chagrins, il faut me les dire.

— Non, non, pas des chagrins, des choses qui n’existent pas, des tristesses qui me rendent horriblement malheureux, sans qu’il soit même possible d’en causer.

Tous deux s’étreignirent, confondirent l’affreuse mélancolie de leur peine. C’était une infinie souffrance, sans oubli possible, sans pardon. Ils pleuraient, et ils sentaient sur eux les forces aveugles de la vie, faite de lutte et de mort.

— Allons, dit Jacques, en se dégageant, il est l’heure de songer au départ… Ce soir, tu seras au Havre.

Séverine, sombre, les regards perdus, murmura, après un silence :

— Encore, si j’étais libre, si mon mari n’était plus là !… Ah ! comme nous oublierions vite !

Il eut un geste violent, il pensa tout haut.

— Nous ne pouvons pourtant pas le tuer.

Fixement, elle le regarda, et lui tressaillit, étonné d’avoir dit cette chose, à laquelle il n’avait jamais songé. Puisqu’il voulait tuer, pourquoi donc ne le tuait-il pas, cet homme gênant ? Et, comme il la quittait enfin, pour courir au Dépôt, elle le reprit entre ses bras, le couvrit de baisers.

— Oh ! mon chéri, aime-moi bien. Je t’aimerai plus fort, plus fort encore… Va, nous serons heureux.