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VI


Un mois se passa, et un grand calme s’était fait de nouveau dans le logement que les Roubaud occupaient au premier étage de la gare, au-dessus des salles d’attente. Chez eux, chez leurs voisins de couloir, parmi ce petit monde d’employés, soumis à une existence d’horloge par l’uniforme retour des heures réglementaires, la vie s’était remise à couler, monotone. Et il semblait que rien ne se fût passé de violent ni d’anormal.

La bruyante et scandaleuse affaire Grandmorin, tout doucement, s’oubliait, allait être classée, par l’impuissance où paraissait être la justice de découvrir le coupable. Après une prévention d’une quinzaine de jours encore, le juge d’instruction Denizet avait rendu une ordonnance de non-lieu, à l’égard de Cabuche, motivée sur ce qu’il n’existait pas contre lui de charges suffisantes ; et une légende de police était en train de se former, romanesque : celle d’un assassin inconnu, insaisissable, un aventurier du crime, présent partout à la fois, que l’on chargeait de tous les meurtres et qui se dissipait en fumée, à la seule apparition des agents. À peine quelques plaisanteries reparaissaient-elles de loin en loin sur ce légendaire assassin, dans la presse de l’opposition, enfiévrée par l’approche des élections générales. La pression du pouvoir, les violences des préfets lui fournissaient quotidiennement d’autres sujets d’articles indignés ; si