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— Mais oui, ne faites pas l’innocent… J’ai déjà interrogé Misard, l’homme qui a épousé la mère de votre maîtresse. Je le confronterai avec vous, s’il est nécessaire. Vous verrez ce qu’il pense de votre histoire, lui… Et prenez bien garde à vos réponses. Nous avons des témoins, nous savons tout, vous feriez mieux de dire la vérité.

C’était son ordinaire tactique d’intimidation, même lorsqu’il ne savait rien et qu’il n’avait pas de témoins.

— Ainsi nierez-vous que, publiquement, vous avez crié partout que vous saigneriez monsieur Grandmorin ?

— Ah ! ça oui, je l’ai dit. Et je le disais de bon cœur, allez ! car la main me démangeait bougrement !

Une surprise arrêta net M. Denizet, qui s’attendait à un système de complète dénégation. Comment ! le prévenu avouait les menaces. Quelle ruse cela cachait-il ? Craignant d’être allé trop vite en besogne, il se recueillit un instant, puis le dévisagea, en lui posant cette question brusque :

— Qu’avez-vous fait pendant la nuit du 14 au 15 février ?

— Je me suis couché à la nuit, vers six heures… J’étais un peu souffrant, et mon cousin Louis m’a même rendu le service de conduire une charge de pierres à Doinville.

— Oui, on a vu votre cousin, avec la voiture, traverser la voie, au passage à niveau. Mais votre cousin, interrogé, n’a pu répondre qu’une chose : c’est que vous l’avez quitté vers midi et qu’il ne vous a plus revu… Prouvez-moi que vous étiez couché à six heures.

— Voyons, c’est bête, je ne peux pas prouver ça. J’habite une maison toute seule, à la lisière de la forêt… J’y étais, je le dis, et c’est tout.

Alors, M. Denizet se décida à frapper le grand coup de l’affirmation qui s’impose. Sa face s’immobilisait dans une tension de volonté, tandis que sa bouche jouait la scène.