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Toute cette affaire, depuis trois semaines, hantait Jacques d’un malaise, comme si elle avait pu finir par tourner contre lui. Cela était déraisonnable, car il n’avait rien à se reprocher, pas même d’avoir gardé le silence ; et, pourtant, il n’entrait chez le juge qu’avec le petit frisson du coupable, qui craint de voir son crime découvert ; et il se défendait contre les questions, il se surveillait, de peur d’en trop dire. Lui aussi aurait pu tuer : cela ne se lisait-il pas dans ses yeux ? Rien ne lui était plus désagréable que ces citations en justice, il en éprouvait une sorte de colère, ayant hâte, disait-il, qu’on ne le tourmentât plus, avec des histoires qui ne le regardaient pas.

D’ailleurs, ce jour-là, M. Denizet n’insista que sur le signalement de l’assassin. Jacques, étant l’unique témoin qui eût entrevu ce dernier, pouvait seul donner des renseignements précis. Mais il ne sortait pas de sa première déposition, il répétait que la scène du meurtre était restée pour lui la vision d’une seconde à peine, une image si rapide, qu’elle demeurait comme sans forme, abstraite, dans son souvenir. Ce n’était qu’un homme en égorgeant un autre, et rien de plus. Pendant une demi-heure, le juge, avec une obstination lente, le harcela, lui posa la même question sous tous les sens imaginables : était-il grand, était-il petit ? avait-il de la barbe, avait-il des cheveux longs ou courts ? quelle sorte de vêtements portait-il ? à quelle classe paraissait-il appartenir ? Et Jacques, troublé, ne faisait toujours que des réponses vagues.

— Enfin, demanda brusquement M. Denizet en le regardant dans les yeux, si on vous le montrait, le reconnaîtriez-vous ?

Il eut un léger battement de paupières, envahi d’une angoisse sous ce regard qui fouillait son crâne. Sa conscience s’interrogea tout haut.

— Le reconnaître… oui… peut-être.