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Alors, madame Bonnehon se soulagea, avec son franc-parler ordinaire.

— Laisse donc, Berthe, nous ne nous entendrons jamais là-dessus… Elle était gaie, elle aimait à rire, et elle avait bien raison… Je sais parfaitement ce que ton mari et toi vous pensez. Mais, en vérité, il faut que l’intérêt vous trouble la tête, pour que vous vous étonniez si fort de ce legs de la Croix-de-Maufras, fait par ton père à la bonne Séverine… Il l’avait élevée, il l’avait dotée, il était tout naturel qu’il la mît sur son testament. Ne la considérait-il pas un peu comme sa fille, voyons !… Ah ! ma chère, l’argent compte pour si peu de chose dans le bonheur !

Elle, en effet, ayant toujours été très riche, se montrait d’un désintéressement absolu. Même, par un raffinement de belle femme adorée, elle affectait de mettre l’unique raison de vivre dans la beauté et dans l’amour.

— C’est Roubaud qui a parlé de la dépêche, fit remarquer sèchement M. de Lachesnaye. S’il n’y a pas eu de dépêche, le président n’a pas pu lui dire qu’il en avait reçu une. Pourquoi Roubaud a-t-il menti ?

— Mais, s’écria M. Denizet, se passionnant, le président peut très bien avoir inventé lui-même cette dépêche, pour expliquer son départ subit aux Roubaud. Selon leur propre témoignage, il ne devait partir que le lendemain ; et, comme il se trouvait dans le même train qu’eux, il avait besoin d’une raison quelconque, s’il ne voulait pas leur apprendre la raison vraie, que nous ignorons tous, d’ailleurs… Cela n’a pas d’importance, cela ne mène à rien.

Un nouveau silence se fit. Quand le juge continua, il était très calme, il se montra plein de précautions.

— À présent, madame, j’aborde un sujet particulièrement délicat, et je vous prie d’excuser la nature de mes questions. Personne plus que moi ne respecte la mémoire