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sonne dont vous parlez avait de très mauvais instincts, étant petite.

— Quoi donc ? l’accusez-vous de s’être mal conduite, Doinville ?

— Oh ! non, monsieur, mon père ne l’aurait pas gardée.

Dans ce cri, se révoltait la pruderie de la bourgeoise honnête, qui n’aurait jamais une faute à se reprocher, et qui mettait sa gloire à être une des vertus les plus incontestables de Rouen, saluée et reçue partout.

— Seulement, continua-t-elle, quand il y a des habitudes de légèreté et de dissipation… Enfin, monsieur, bien des choses que je n’aurais pas crues possibles, me paraissent certaines aujourd’hui.

De nouveau, M. Denizet eut un mouvement d’impatience. Il n’était plus du tout sur cette piste, et quiconque y demeurait devenait son adversaire, lui semblait s’attaquer à la sûreté de son intelligence.

— Voyons, pourtant, il faut raisonner, s’écria-t-il. Des gens comme les Roubaud ne tuent pas un homme comme votre père, pour hériter plus vite ; ou, tout au moins, il y aurait des indices de leur hâte, je trouverais ailleurs des traces de cette âpreté à posséder et à jouir. Non, le mobile ne suffit point, il faudrait en découvrir un autre, et il n’y a rien, vous n’apportez rien vous-mêmes… Puis, rétablissez les faits, ne constatez-vous pas des impossibilités matérielles ? Personne n’a vu les Roubaud monter dans le coupé, un employé croit même pouvoir affirmer qu’ils sont retournés dans leur compartiment. Et, puisqu’ils y étaient pour sûr à Barentin, il serait nécessaire d’admettre un va-et-vient de leur wagon à celui du président, dont les séparaient trois autres voitures, cela pendant les quelques minutes du trajet, lorsque le train était lancé à toute vitesse. Est-ce vraisemblable ? j’ai questionné des mécaniciens, des conducteurs. Tous m’ont dit qu’une grande habitude seule pouvait donner assez de sang-froid et d’énergie… La femme