Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dait dans les liquidations. Germaine Cœur ne lui coûtait que quelques billets de mille francs, et on ne voyait jamais sa femme.

— Enfin, dans cette affaire de Caracas, conclut Mazaud, cédant à la rancune malgré sa grande correction, il est certain que Daigremont a trahi et qu’il a raflé les bénéfices… Il est très dangereux. 

Puis, après un silence :

— Mais pourquoi ne vous adressez-vous pas à Gundermann ?

— Jamais !  cria Saccard, que la passion emportait.

À ce moment, Berthier, le fondé de pouvoirs, entra et chuchota quelques mots à l’oreille de l’agent. C’était la baronne Sandorff qui venait payer des différences et qui soulevait toutes sortes de chicanes, pour réduire son compte. D’habitude, Mazaud s’empressait, recevait lui-même la baronne ; mais, quand elle avait perdu, il l’évitait comme la peste, certain d’un trop rude assaut à sa galanterie. Il n’y a pires clientes que les femmes, d’une mauvaise foi plus absolue, dès qu’il s’agit de payer.

— Non, non, dites que je n’y suis pas, répondit-il avec humeur. Et ne faites pas grâce d’un centime, entendez-vous ! 

Et, lorsque Berthier fut parti, voyant au sourire de Saccard qu’il avait entendu.

— C’est vrai, mon cher, elle est très gentille, celle-là, mais vous n’avez pas idée de cette rapacité… Ah ! les clients, comme ils nous aimeraient, s’ils gagnaient toujours ! Et plus ils sont riches, plus ils sont du beau monde, Dieu me pardonne ! plus je me méfie, plus je tremble de n’être pas payé… Oui, il y a des jours où, en dehors des grandes maisons, j’aimerais mieux n’avoir qu’une clientèle de province. 

La porte s’était rouverte, un employé lui remit un dossier qu’il avait demandé le matin, et sortit.

— Tenez ! ça tombe bien. Voici un receveur de rentes, installé à Vendôme, un sieur Fayeux… Eh bien, vous n’avez pas idée de la quantité d’ordres que je reçois de ce