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Mais cette allusion à madame Conin rendit Gustave sérieux. Celle-ci, on la respectait c’était une femme honnête ; et, quand elle voulait bien, il n’y avait pas d’exemple qu’un homme se fût montré bavard, tellement on restait bons amis. Aussi, ne voulant pas répondre, Gustave posa-t-il à son tour une question.

— Et Chuchu, vous l’avez menée à Mabille ?

— Ma foi, non ! c’est trop cher. Nous sommes rentrés, nous avons fait du thé. 

Derrière les jeunes gens, Saccard avait entendu ces noms de femme, qu’ils chuchotaient d’une voix rapide.

Il eut un sourire. Il s’adressa à Flory.

— Est-ce que vous n’avez pas vu M. Mazaud ?

— Si, monsieur, il est venu me donner un ordre, et il est redescendu à son appartement… Je crois que son petit garçon est malade, on l’a averti que le docteur était là… Vous devriez sonner chez lui, car il peut très bien sortir, sans remonter. 

Saccard remercia, se hâta de descendre un étage. Mazaud était un des plus jeunes agents de change, comblé par le sort, ayant eu cette chance de la mort de son oncle, qui l’avait rendu titulaire d’une des plus fortes charges de Paris, à un âge où l’on apprend encore les affaires. Dans sa petite taille, il était de figure agréable, avec de minces moustaches brunes, des yeux noirs perçants ; et il montrait une grande activité, l’intelligence très alerte, elle aussi. On le citait déjà, à la corbeille, pour cette vivacité d’esprit et de corps, si nécessaire dans le métier, et qui, jointe à beaucoup de flair, à une intuition remarquable, allait le mettre au premier rang ; sans compter qu’il avait une voix aiguë, des renseignements de Bourses étrangères de première main, des relations chez tous les grands banquiers, enfin un arrière-cousin, disait-on, à l’agence Havas. Sa femme, épousée par amour, lui avait apporté douze cent mille francs de dot, une jeune femme charmante dont il avait déjà deux enfants, une fillette de trois ans et un petit garçon de dix-huit mois.