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— C’est bon, faites… Je prendrai un fiacre.

Mais, sur le trottoir, il fut surpris par le vent aigre qui soufflait un brusque retour de l’hiver, dans ce mai si doux la veille encore. Il ne pleuvait pourtant pas, de gros nuages montaient à l’horizon. Et il ne prit pas de fiacre, pour se réchauffer en marchant ; il se dit qu’il descendrait d’abord à pied chez Mazaud, l’agent de change, rue de la Banque ; car l’idée lui était venue de le sonder sur Daigremont, le spéculateur bien connu, l’homme heureux de tous les syndicats, seulement, rue Vivienne, du ciel envahi de nuées livides, une telle giboulée creva, mêlée de grêle, qu’il se réfugia sous une porte cochère.

Depuis une minute, Saccard était là, à regarder tomber l’averse, lorsque, dominant le roulement de l’eau, une claire sonnerie de pièces d’or lui fit dresser l’oreille. Cela semblait sortir des entrailles de la terre, continu, léger et musical, comme dans un conte des Mille et une Nuits. Il tourna la tête, se reconnut, vit qu’il se trouvait sous la porte de la maison Kolb, un banquier qui s’occupait surtout d’arbitrages sur l’or, achetant le numéraire dans les États où il était à bas cours, puis le fondant, pour vendre les lingots ailleurs, dans les pays où l’or était en hausse ; et, du matin au soir, les jours de fonte, montait du sous-sol ce bruit cristallin des pièces d’or, remuées à la pelle, prises dans des caisses, jetées dans le creuset. Les passants du trottoir en ont les oreilles qui tintent, d’un bout de l’année à l’autre. Maintenant, Saccard souriait complaisamment à cette musique, qui était comme la voix souterraine de ce quartier de la Bourse, il y vit un heureux présage.

La pluie ne tombait plus, il traversa la place, se trouva tout de suite chez Mazaud. Par une exception, le jeune agent de change avait son domicile personnel, au premier étage, dans la maison même où les bureaux de sa charge étaient installés, occupant tout le second. Il avait simplement repris l’appartement de son oncle, lorsque, à la mort de celui-ci, il s’était entendu avec ses cohéritiers pour racheter la charge.