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— Regardez, dit madame Caroline, en reconnaissant Saccard. Encore quelque chagrin pour ces malheureuses. Les pauvresses, dans la rue, me font moins de peine.

— Bah ! s’écria-t-il gaiement, vous les prierez de venir me voir. Nous les enrichirons, elles aussi, puisque nous allons faire la fortune de tout le monde. 

Et, dans sa fièvre heureuse, il chercha ses lèvres, pour les baiser. Mais, d’un mouvement brusque, elle avait retiré la tête, devenue grave et pâlie d’un involontaire malaise.

— Non, je vous en prie. 

C’était la première fois qu’il tentait de la reprendre, depuis qu’elle s’était abandonnée à lui, dans une minute de complète inconscience. Les affaires sérieuses arrangées, il pensait à sa bonne fortune, voulant aussi, de ce côté, régler la situation. Ce vif mouvement de recul l’étonna.

— Bien vrai, cela vous ferait de la peine ?

— Oui, beaucoup de peine. 

Elle se calmait, elle souriait à son tour.

— D’ailleurs, avouez que vous-même n’y tenez guère.

— Oh ! moi, je vous adore.

— Non, ne dites pas ça, vous allez être si occupé ! Et puis, je vous assure que je suis prête à avoir de la vraie amitié pour vous, si vous êtes l’homme actif que je crois, et si vous faites toutes les grandes choses que vous dites… Voyons, c’est bien meilleur, l’amitié ! 

Il l’écoutait, souriant toujours, gêné et combattu pourtant. Elle le refusait, c’était ridicule de ne l’avoir eue qu’une fois, par surprise. Mais sa vanité seule en souffrait.

— Alors, amis seulement ?

— Oui, je serai votre camarade, je vous aiderai… Amis, grands amis ! 

Elle tendit ses joues, et, conquis, trouvant qu’elle avait raison, il y posa deux gros baisers.