Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout un système de chemins de fer traversant l’Asie Mineure, de part en part… Le manque de communications commodes et rapides, telle est la cause première de la stagnation où croupit ce pays si riche. Vous n’y trouveriez pas une voie carrossable, les voyages et les transports s’y font toujours à dos de mulet ou de chameau… Imaginez alors quelle révolution, si des lignes ferrées pénétraient jusqu’aux confins du désert ! Ce serait l’industrie et le commerce décuplés, la civilisation victorieuse, l’Europe s’ouvrant enfin les portes de l’Orient… Oh ! pour peu que cela vous intéresse, nous en causerons en détail. Et vous verrez, vous verrez !

Tout de suite, du reste, il ne put s’empêcher d’entrer dans des explications. C’était surtout pendant son voyage à Constantinople, qu’il avait étudié le tracé de son système de chemins de fer. La grande, l’unique difficulté se trouvait dans la traversée des monts Taurus ; mais il avait parcouru les différents cols, il affirmait la possibilité d’un tracé direct et relativement peu dispendieux. D’ailleurs, il ne songeait pas à exécuter d’un coup le système complet. Lorsqu’on aurait obtenu du sultan la concession totale, il serait sage de n’entreprendre d’abord que la branche mère, la ligne de Brousse à Beyrouth par Angora et Alep. Plus tard, on songerait à l’embranchement de Smyrne à Angora, et à celui de Trébizonde à Angora, par Erzeroum et Sivas.

— Plus tard, plus tard encore…, continua-t-il.

Et il n’acheva pas, il se contentait de sourire, n’osant dire jusqu’où il avait poussé l’audace de ses projets. C’était le rêve.

— Ah ! les plaines au pied du Taurus, reprit madame Caroline de sa voix lente de dormeuse éveillée, quel paradis délicieux ! On n’a qu’à gratter la terre, les moissons poussent, débordantes. Les arbres fruitiers, les pêchers, les cerisiers, les figuiers, les amandiers, cassent sous les fruits. Et quels champs d’oliviers et de mûriers, pareils à de grands bois ! Et quelle existence naturelle et facile, dans cet air léger, constamment bleu !