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autre fois, Massias, n’osant s’attaquer au célèbre Amadieu, penché au-dessus d’une salade de homard, en train de causer à voix basse avec Mazaud, revint vers Salmon, qui prit la cote, l’étudia longuement, puis la rendit, sans un mot. La salle s’animait. D’autres remisiers, à chaque minute, en faisaient battre les portes. Des paroles hautes s’échangeaient de loin, toute une passion d’affaires montait, à mesure que s’avançait l’heure. Et Saccard, dont les regards retournaient sans cesse au-dehors, voyait aussi la place se remplir peu à peu, les voitures et les piétons affluer ; tandis que, sur les marches de la Bourse, éclatantes de soleil, des taches noires, des hommes se montraient déjà, un à un.

— Je vous répète, dit Moser de sa voix désolée, que ces élections complémentaires du 20 mars sont un symptôme des plus inquiétants… Enfin, c’est aujourd’hui Paris tout entier acquis à l’opposition.

Mais Pillerault haussait les épaules. Carnot et Garnier-Pagès de plus sur les bancs de la gauche, qu’est-ce que ça pouvait faire ?

— C’est comme la question des duchés, reprit Moser, eh bien, elle est grosse de complications… Certainement ! vous avez beau rire. Je ne dis pas que nous devions faire la guerre à la Prusse, pour l’empêcher de s’engraisser aux dépens du Danemark ; seulement, il y avait des moyens d’action… Oui, oui, lorsque les gros se mettent à manger les petits, on ne sait jamais où ça s’arrête… Et, quant au Mexique… 

Pillerault, qui était dans un de ses jours de satisfaction universelle, l’interrompit d’un éclat de rire :

— Ah ! non, mon cher, ne vous ennuyez plus, avec vos terreurs sur le Mexique… Le Mexique, ce sera la page glorieuse du règne… Où diable prenez-vous que l’empire soit malade ? Est-ce qu’en janvier l’emprunt de trois cents millions n’a pas été couvert plus de quinze fois ? Un succès écrasant !… Tenez ! je vous donne rendez-vous en 67, oui, dans trois ans d’ici, lorsqu’on ouvrira l’Exposition universelle que l’empereur vient de décider.