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lorsqu’il se présenta pour louer en son nom, elle consentit tout de suite, elle lui céda, moyennant un loyer dérisoire de dix mille francs, ce rez-de-chaussée et ce premier étage somptueux, d’installation princière, qui en valait certainement le double.

On se souvenait du faste affiché par le prince d’Orviedo. C’était dans le coup de fièvre de son immense fortune financière, lorsqu’il était venu d’Espagne, débarquant à Paris au milieu d’une pluie de millions, qu’il avait acheté et fait réparer cet hôtel, en attendant le palais de marbre et d’or dont il rêvait d’étonner le monde. La construction datait du siècle dernier, une de ces maisons de plaisance, bâties au milieu de vastes jardins par des seigneurs galants ; mais, démolie en partie, rebâtie dans de plus sévères proportions, elle n’avait gardé, de son parc d’autrefois, qu’une large cour bordée d’écuries et de remises, que la rue projetée du Cardinal-Fesch allait sûrement emporter. Le prince la tenait de la succession d’une demoiselle Saint-Germain, dont la propriété s’étendait jadis jusqu’à la rue des Trois-Frères, l’ancien prolongement de la rue Taitbout. D’ailleurs, l’hôtel avait conservé son entrée sur la rue Saint-Lazare, côte à côte avec une grande bâtisse de la même époque, la Folie-Beauvilliers d’autrefois, que les Beauvilliers occupaient encore, à la suite d’une ruine lente ; et eux possédaient un reste d’admirable jardin, des arbres magnifiques, condamnés aussi à disparaître, dans le bouleversement prochain du quartier.

Au milieu de son désastre, Saccard traînait une queue de serviteurs, les débris de son trop nombreux personnel, un valet de chambre, un chef de cuisine et sa femme, chargée de la lingerie, une autre femme restée on ne savait pourquoi, un cocher et deux palefreniers ; et il encombra les écuries et les remises, y mit deux chevaux, trois voitures, installa au rez-de-chaussée un réfectoire pour ses gens. C’était l’homme qui n’avait pas cinq cents francs solides dans sa caisse, mais qui vivait sur un pied de deux ou trois cent mille francs par an. Aussi trouva-t-il le moyen de remplir de sa personne les vastes apparte-