Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/430

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Saccard, qui n’avait pas même entendu, continuait avec plus de violence :

— Et ce qui m’exaspère, c’est que je vois les gouvernements complices, aux pieds de ces gueux. Ainsi l’empereur est-il assez vendu à Gundermann ! comme s’il était impossible de régner sans l’argent de Gundermann ! Certes, Rougon, mon grand homme de frère, s’est conduit d’une façon bien dégoûtante à mon égard ; car, je ne vous l’ai pas dit, j’ai été assez lâche pour chercher à me réconcilier, avant la catastrophe, et si je suis ici, c’est qu’il l’a bien voulu. N’importe, puisque je le gêne, qu’il se débarrasse donc de moi ! je ne lui en voudrai quand même que de son alliance avec ces sales juifs… Avez-vous songé à cela ? l’Universelle étranglée pour que Gundermann continue son commerce ! toute banque catholique trop puissante écrasée, comme un danger social, pour assurer le définitif triomphe de la juiverie, qui nous mangera, et bientôt !… Ah ! que Rougon prenne garde ! il sera mangé, lui d’abord, balayé de ce pouvoir auquel il se cramponne, pour lequel il renie tout. C’est très malin, son jeu de bascule, les gages donnés un jour aux libéraux, l’autre jour aux autoritaires ; mais, à ce jeu-là, on finit fatalement par se rompre le cou… Et, puisque tout craque, que le désir de Gundermann s’accomplisse donc, lui qui a prédit que la France serait battue, si nous avions la guerre avec l’Allemagne ! Nous sommes prêts, les Prussiens n’ont plus qu’à entrer et à prendre nos provinces. 

D’un geste terrifié et suppliant, elle le fit taire, comme s’il allait attirer la foudre.

— Non, non ! ne dites pas ces choses. Vous n’avez pas le droit de les dire… Du reste, votre frère n’est pour rien dans votre arrestation. Je sais de source certaine que c’est le garde des sceaux Delcambre qui a tout fait. 

La colère de Saccard tomba brusquement, il eut un sourire.

— Oh ! celui-là se venge. 

Elle le regardait d’un air d’interrogation, et il ajouta :