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de voleur, on m’accuse d’avoir mis tous ces millions dans mes poches, on m’égorgerait, si l’on me tenait ; et, ce qui est pis, on hausse les épaules de pitié, un simple fou, une pauvre intelligence… Mais, si j’avais réussi, imaginez-vous cela ? Oui, si j’avais abattu Gundermann, conquis le marché, si j’étais à cette heure le roi indiscuté de l’or, hein ? quel triomphe ! Je serais un héros, j’aurais Paris à mes pieds. 

Nettement, elle lui tint tête.

— Vous n’aviez avec vous ni la justice ni la logique, vous ne pouviez pas réussir.

Il s’était arrêté devant elle d’un mouvement brusque, il s’emportait.

— Pas réussir, allons donc ! L’argent m’a manqué, voilà tout. Si Napoléon, le jour de Waterloo, avait eu cent mille hommes encore à faire tuer, il l’emportait, la face du monde était changée. Moi, si j’avais eu à jeter au gouffre les quelques centaines de millions nécessaires, je serais le maître du monde.

— Mais c’est affreux ! cria-t-elle, révoltée. Quoi ? vous trouvez qu’il n’y a pas eu assez de ruines, pas assez de larmes, pas assez de sang ! Il vous faudrait d’autres désastres encore, d’autres familles dépouillées, d’autres malheureux réduits à mendier dans les rues ! 

Il reprit sa promenade violente, il eut un geste d’indifférence supérieure, en jetant ce cri :

— Est-ce que la vie s’inquiète de ça ! Chaque pas que l’on fait, écrase des milliers d’existences. 

Et un silence régna, elle le suivit dans sa marche, le cœur envahi de froid. Était-ce un coquin, était-ce un héros ? Elle frémissait, en se demandant quelles pensées de grand capitaine vaincu, réduit à l’impuissance, il pouvait rouler depuis six mois qu’il était enfermé dans cette cellule ; et elle jeta seulement alors un regard autour d’elle : les quatre murs nus, le petit lit de fer, la table de bois blanc, les deux chaises de paille. Lui qui avait vécu au milieu d’un luxe prodigué, éclatant !

Mais, tout d’un coup, il revint s’asseoir, les jambes