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dénoués sur les épaules, qui enseignait une prière à trois petites filles occupant les trois autres lits.

— Joignez vos mains comme ça, ouvrez votre cœur tout grand… 

Les trois petites filles étaient, elles aussi, agenouillées au milieu de leurs draps. Deux avaient de huit à dix ans, la troisième n’en avait pas cinq. Dans les longues chemises blanches, avec leurs frêles mains jointes, leurs visages sérieux et extasiés, on aurait dit de petits anges.

— Et vous allez répéter après moi ce que je vais dire. Écoutez bien… Mon Dieu ! faites que monsieur Saccard soit récompensé de sa bonté, qu’il ait de longs jours et qu’il soit heureux. 

Alors, avec des voix de chérubin, un zézaiement d’une maladresse adorable d’enfance, les quatre fillettes répétèrent ensemble, dans un élan de foi où tout leur petit être pur se donnait :

— Mon Dieu ! faites que monsieur Saccard soit récompensé de sa bonté, qu’il ait de longs jours et qu’il soit heureux. 

D’un mouvement emporté, madame Caroline allait entrer dans la pièce, faire taire ces enfants, leur défendre ce qu’elle regardait comme un jeu blasphématoire et cruel. Non, non ! Saccard n’avait pas le droit d’être aimé, c’était salir l’enfance que de la laisser prier pour son bonheur ! Puis, un grand frisson l’arrêta, des larmes lui montaient aux yeux. Pourquoi donc aurait-elle fait épouser sa querelle, la colère de son expérience, à ces êtres innocents, ne sachant rien encore de la vie ? Est-ce que Saccard n’avait pas été bon pour eux, lui qui était un peu le créateur de cette maison, qui leur envoyait tous les mois des jouets ? Un trouble profond l’avait saisie, elle retrouvait cette preuve qu’il n’y a point d’homme condamnable, qui, au milieu de tout le mal qu’il a pu faire, n’ait encore fait beaucoup de bien. Et elle partit, pendant que les fillettes reprenaient leur prière, elle emporta dans son oreille ces voix angéliques appelant les bénédictions du ciel sur l’homme d’inconscience et de catastrophe,