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Moi-même, j’ai eu les plus grands troubles de conscience, je me suis sentie complice lorsque, dernièrement, cette banque a croulé, en amoncelant tant de ruines et tant d’iniquités. Oui, je n’aurais pas dû consentir à ce que ma maison devînt le berceau d’une abomination pareille… Enfin, le mal est fait, la maison sera purifiée, et moi, oh ! moi, je ne suis plus, Dieu me pardonnera. 

Son pâle sourire d’espoir enfin réalisé avait reparu, elle disait d’un geste sa sortie du monde, sa disparition à jamais de bonne déesse invisible.

Madame Caroline lui avait saisi les mains, les serrait, les baisait, tellement bouleversée de remords et de pitié, qu’elle bégayait des paroles sans suite.

— Vous avez tort de m’excuser, je suis coupable… Cette malheureuse enfant, je veux la voir, je cours tout de suite la voir… 

Et elle s’en alla, laissant la princesse et sa vieille bonne Sophie commencer leurs paquets, pour le grand départ qui devait les séparer après quarante ans de vie commune.

L’avant-veille, le samedi, la comtesse de Beauvilliers s’était résignée à abandonner son hôtel à ses créanciers. Depuis six mois qu’elle ne payait plus les intérêts des hypothèques, la situation était devenue intolérable, au milieu des frais de toutes sortes, dans la continuelle menace d’une vente judiciaire ; et son avoué lui avait donné le conseil de lâcher tout, de se retirer au fond d’un petit logement, où elle vivrait sans dépense, tandis qu’il tâcherait de liquider les dettes. Elle n’aurait pas cédé, elle se serait obstinée peut-être à garder son rang, son mensonge de fortune intacte, jusqu’à l’anéantissement de sa race, sous l’écroulement des plafonds, sans un nouveau malheur qui l’avait terrassée. Son fils Ferdinand, le dernier des Beauvilliers, l’inutile jeune homme, écarté de tout emploi, devenu zouave pontifical pour échapper à sa nullité et à son oisiveté, était mort à Rome, sans gloire, si pauvre de sang, si éprouvé par le soleil trop lourd, qu’il n’avait pu se battre à Men-