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cochère, annonçait la mise en vente de l’hôtel, le coup de balai suprême qui emportait jusqu’aux vestiges de l’argent maudit, ramassé dans la boue et dans le sang du brigandage financier.

En haut, la vieille Sophie attendait madame Caroline pour l’introduire. Elle, furieuse, grondait toute la journée. Ah ! elle l’avait bien dit que madame finirait par mourir sur la paille ! Est-ce que madame n’aurait pas dû se remarier et avoir des enfants avec un autre monsieur, puisqu’elle n’aimait que ça au fond ? Ce n’était pas qu’elle eût à se plaindre et à s’inquiéter, elle, car elle avait reçu depuis longtemps une rente de deux mille francs, qu’elle allait manger dans son pays, du côté d’Angoulême. Mais une colère l’emportait, lorsqu’elle songeait que madame ne s’était pas même réservé les quelques sous nécessaires, chaque matin, au pain et au lait dont elle vivait maintenant. Des querelles sans cesse éclataient entre elles. La princesse souriait de son divin sourire d’espérance, en répondant qu’elle n’aurait plus besoin, à la fin du mois, que d’un suaire, lorsqu’elle serait entrée dans le couvent où elle avait depuis longtemps marqué sa place, un couvent de Carmélites muré au monde entier. Le repos, l’éternel repos !

Telle qu’elle la voyait depuis quatre années, madame Caroline retrouva la princesse, vêtue de son éternelle robe noire, les cheveux cachés sous un fichu de dentelle, jolie encore à trente-neuf ans, avec son visage rond aux dents de perle, mais le teint jaune, la chair morte, comme après dix ans de cloître. Et l’étroite pièce, pareille à un bureau d’huissier de province, s’était emplie d’un encombrement de paperasses plus inextricables encore, des plans, des mémoires, des dossiers, tout le papier gâché d’un gaspillage de trois cents millions.

— Madame, dit la princesse, de sa voix douce et lente, qu’aucune émotion ne faisait plus trembler, j’ai voulu vous apprendre une nouvelle qui m’a été apportée ce matin… Il s’agit de Victor, ce garçon que vous avez placé à l’Œuvre du Travail…