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XII


L’instruction du procès marcha avec une telle lenteur, que sept mois déjà s’étaient écoulés, depuis l’arrestation de Saccard et d’Hamelin, sans que l’affaire pût être mise au rôle. On était au milieu de septembre, et, ce lundi-là, madame Caroline qui allait voir son frère deux fois par semaine, devait se rendre vers trois heures à la Conciergerie. Elle ne prononçait jamais le nom de Saccard, elle avait dix fois répondu par un refus formel, aux demandes pressantes qu’il lui faisait transmettre de le venir visiter. Pour elle, raidie dans sa volonté de justice, il n’était plus. Et elle espérait toujours sauver son frère, elle était toute gaie, les jours de visite, heureuse de l’entretenir de ses dernières démarches et de lui apporter un gros bouquet des fleurs qu’il aimait.

Le matin, ce lundi-là, elle préparait donc une botte d’œillets rouges, lorsque la vieille Sophie, la bonne de la princesse d’Orviedo, descendit lui dire que madame désirait lui parler tout de suite. Étonnée, vaguement inquiète, elle se hâta de monter. Depuis plusieurs mois, elle n’avait pas vu la princesse, ayant donné sa démission de secrétaire, à l’Œuvre du Travail, dès la catastrophe de l’Universelle. Elle ne se rendait plus, de loin en loin, boulevard Bineau, que pour voir Victor, que la sévère discipline semblait dompter maintenant, l’œil en dessous, avec sa joue gauche plus forte que la droite, tirant la bouche dans une moue de férocité goguenarde. Tout de suite, elle eut le pressentiment qu’on la faisait appeler à cause de Victor.

La princesse d’Orviedo, enfin, était ruinée. Dix ans à