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— Et si vous aviez vu le calme de l’oncle, au milieu de ces catastrophes ! il l’avait bien prédit, il triomphait, serré dans son col de crin… Pas un jour il n’a manqué la Bourse, pas un jour il n’a cessé de jouer son jeu infime, sur le comptant, satisfait d’emporter sa pièce de quinze à vingt francs, chaque soir, ainsi qu’un bon employé qui a bravement rempli sa journée. Autour de lui, les millions croulaient de toutes parts, des fortunes géantes se faisaient et se défaisaient en deux heures, l’or pleuvait à pleins seaux parmi les coups de foudre, et il continuait, sans fièvre, à gagner sa petite vie, son petit gain pour ses petits vices… Il est le malin des malins, les jolies filles de la rue Nollet ont eu leurs gâteaux et leurs bonbons. 

Cette allusion, faite de belle humeur, aux farces du capitaine, acheva d’amuser les deux femmes. Mais, tout de suite, la tristesse de la situation les reprit.

— Hélas ! non, déclara madame Caroline, je ne crois pas que vos parents aient rien à tirer de leurs actions. Tout me paraît bien fini. Elles sont à trente francs, elles vont tomber à vingt francs, à cent sous… Mon Dieu ! Les pauvres gens, à leur âge, avec leurs habitudes d’aisance, que vont-ils devenir ?

— Dame ! répondit simplement Jordan, il va falloir s’occuper d’eux… Nous ne sommes pas bien riches encore, mais enfin ça commence à marcher, et nous ne les laisserons pas dans la rue. 

Il venait d’avoir une chance. Après tant d’années de travail ingrat, son premier roman, publié d’abord dans un journal, lancé ensuite par un éditeur, avait pris brusquement l’allure d’un gros succès ; et il se trouvait riche de quelques milliers de francs, toutes les portes ouvertes devant lui désormais, brûlant de se remettre au travail, certain de la fortune et de la gloire.

— Si nous ne pouvons les prendre, nous leur louerons un petit logement. On s’arrangera toujours, parbleu ! 

Marcelle, qui le regardait avec une tendresse éperdue, fut agitée d’un léger tremblement :

— Oh ! Paul, Paul, que tu es bon !