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— Quand balayez-vous tout ça, d’un coup de pied ? 

Sigismond haussa les épaules.

— À quoi bon ? vous vous démolissez bien vous-mêmes.

Et, peu à peu, il s’anima, il déborda du sujet dont il était plein. Un besoin de prosélytisme le lançait, au moindre mot, dans l’exposition de son système.

— Oui, oui, vous travaillez pour nous, sans vous en douter… Vous êtes là quelques usurpateurs, qui expropriez la masse du peuple ; et quand vous serez gorgés, nous n’aurons qu’à vous exproprier à notre tour… Tout accaparement, toute centralisation conduit au collectivisme. Vous nous donnez une leçon pratique, de même que les grandes propriétés absorbant les lopins de terre, les grands producteurs dévorant les ouvriers en chambre, les grandes maisons de crédit et les grands magasins tuant toute concurrence, s’engraissant de la ruine des petites banques et des petites boutiques, sont un acheminement lent, mais certain, vers le nouvel état social… Nous attendons que tout craque, que le mode de production actuelle ait abouti au malaise intolérable de ses dernières conséquences. Alors, les bourgeois et les paysans eux-mêmes nous aideront.

Saccard, intéressé, le regardait avec une vague inquiétude, bien qu’il le prît pour un fou.

— Mais enfin, expliquez-moi, qu’est-ce que c’est que votre collectivisme ?

— Le collectivisme, c’est la transformation des capitaux privés, vivant des luttes de la concurrence, en un capital social unitaire, exploité par le travail de tous…. Imaginez une société où les instruments de la production sont la propriété de tous, où tout le monde travaille selon son intelligence et sa vigueur, et où les produits de cette coopération sociale sont distribués à chacun, au prorata de son effort. Rien n’est plus simple, n’est-ce pas ? une production commune dans les usines, les chantiers et les ateliers de la nation ; puis, un échange, un payement en nature. Si il y a surcroît de production, on le met dans des entrepôts publics, d’où il est repris pour combler les