Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/374

Cette page a été validée par deux contributeurs.

En effet, Gundermann, un des premiers, s’était offert, pour éviter l’immédiate déclaration de faillite, avec l’extraordinaire sens pratique d’un monsieur, qui, forcé de mettre le feu chez un voisin, se hâterait ensuite d’apporter des seaux d’eau, afin que le quartier entier ne fût pas détruit. Il était au-dessus de la rancune, il n’avait d’autre gloire que d’être le premier marchand d’argent du monde, le plus riche et le plus avisé, ayant réussi à sacrifier toutes ses passions à l’accroissement continu de sa fortune.

Saccard eut un geste d’impatience, exaspéré par cette preuve que le vainqueur donnait de sa sagesse et de son intelligence.

— Oh ! Gundermann, il fait la grande âme, il croit qu’il me poignarde, avec sa générosité.

Un silence régna, et ce fut madame Caroline, restée jusque-là muette, qui reprit enfin :

— Mon ami, j’ai laissé mon frère vous parler comme il devait le faire, dans la légitime douleur qu’il a éprouvée, en apprenant toutes ces déplorables choses… Mais notre situation, à nous autres, me semble claire, et, n’est-ce pas ? il me paraît impossible qu’il se trouve compromis, si l’affaire tournait décidément mal. Vous savez à quel cours j’ai vendu, on ne pourra pas dire qu’il a poussé à la hausse, pour tirer un plus gros profit de ses titres. Et, d’ailleurs, si la catastrophe arrive, nous savons ce que nous avons à faire… Je n’ai point, je l’avoue, votre espoir entêté. Seulement, vous avez raison, il faut lutter jusqu’à la dernière minute, et ce n’est pas mon frère qui vous découragera, soyez-en sûr. 

Elle était émue, reprise par sa tolérance pour cet homme si obstinément vivace, ne voulant pas cependant montrer cette faiblesse, car elle ne pouvait plus s’aveugler sur l’exécrable besogne qu’il avait faite, qu’il aurait sûrement faite encore, avec sa passion voleuse de corsaire sans scrupules.

— Certainement, déclara à son tour Hamelin, las et à bout de résistance, je ne vais pas vous paralyser, lorsque