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pierre par pierre d’un côté, tandis qu’il prétendait l’achever de l’autre.

Saccard, très nettement, sans se fâcher, répondit. Après les premières heures d’émotion et d’anéantissement, il s’était retrouvé, debout, solide, avec son indomptable espoir. Des trahisons avaient rendu la catastrophe terrible, mais rien n’était perdu, il allait tout relever. Et, d’ailleurs, si l’Universelle avait eu une prospérité si rapide et si grande, ne la devait-elle pas aux moyens qu’on lui reprochait ? la création du syndicat, les augmentations successives du capital, le bilan hâtif du dernier exercice, les actions gardées par la société et plus tard les actions achetées en masse, follement. Tout cela faisait corps. Si l’on acceptait le succès, il fallait bien accepter les risques. Quand on chauffe trop une machine, il arrive qu’elle éclate. Du reste, il n’avouait aucune faute, il avait fait, simplement avec plus de carrure intelligente, ce que tout directeur de banque fait ; et il ne lâchait pas son idée géniale, son idée géante de racheter la totalité des titres, d’abattre Gundermann. L’argent lui avait manqué, voilà tout. Maintenant, c’était à recommencer. Une assemblée générale extraordinaire venait d’être convoquée pour le lundi suivant, il se disait absolument certain de ses actionnaires, il obtiendrait d’eux les sacrifices indispensables, convaincu que, sur un mot de lui, tous apporteraient leur fortune. En attendant, on vivrait, grâce aux petites sommes que les autres maisons de crédit, les grandes banques, avançaient chaque matin pour les besoins pressants de la journée, dans la crainte d’un trop brusque effondrement, qui les aurait ébranlées elles-mêmes. La crise passée, tout allait reprendre et resplendir de nouveau.

— Mais, objecta Hamelin, que calmait déjà cette tranquillité souriante, ne voyez-vous pas, dans ces secours fournis par nos rivaux, une tactique, une idée de se garer d’abord et de rendre ensuite notre chute plus profonde, en la retardant ?… Ce qui m’inquiète, c’est de voir Gundermann là-dedans.