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— Oui, une lettre en langue russe. Oh ! dix lignes seulement. 

Alors, il tendit la main, le russe étant resté sa spécialité, lui seul le traduisant couramment, au milieu des autres traducteurs du quartier, qui vivaient de l’allemand et de l’anglais. La rareté des documents russes, sur le marché de Paris, expliquait ses longs chômages.

Tout haut, il lut la lettre, en français. C’était, en trois phrases, une réponse favorable d’un banquier de Constantinople, un simple oui, dans une affaire.

— Ah ! merci, s’écria Saccard, qui parut enchanté.

Et il pria Sigismond d’écrire les quelques lignes de la traduction au revers de la lettre. Mais celui-ci fut pris d’un terrible accès de toux, qu’il étouffa dans son mouchoir, pour ne pas déranger son frère, qui accourait, dès qu’il l’entendait tousser ainsi. Puis, la crise passée, il se leva, alla ouvrir la fenêtre toute grande, étouffant, voulant respirer l’air. Saccard, qui l’avait suivi, jeta un coup d’œil dehors, eut une légère exclamation.

— Tiens ! vous voyez la Bourse. Oh ! qu’elle est drôle, d’ici. 

Jamais, en effet, il ne l’avait vue sous un si singulier aspect, à vol d’oiseau, avec les quatre vastes pentes de zinc de sa toiture, extraordinairement développées, hérissées d’une forêt de tuyaux. Les pointes des paratonnerres se dressaient, pareilles à des lances gigantesques menaçant le ciel. Et le monument lui-même n’était plus qu’un cube de pierre, strié régulièrement par les colonnes, un cube d’un gris sale, nu et laid, planté d’un drapeau en loques. Mais, surtout, les marches et le péristyle l’étonnaient, piquetés de fourmis noires, toute une fourmilière en révolution, s’agitant, se donnant un mouvement énorme, qu’on ne s’expliquait plus, de si haut, et qu’on prenait en pitié.

— Comme ça rapetisse ! reprit-il. On dirait qu’on va tous les prendre dans la main, d’une poignée. 

Puis, connaissant les idées de son interlocuteur, il ajouta en riant :