Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/367

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’irréparable, c’était sa défaite, à jamais ; et le regret bas de l’argent, la colère des jouissances perdues n’entraient pour rien dans sa douleur : il ne saignait que de son humiliation de vaincu, que de la victoire de Gundermann, éclatante, définitive, qui consolidait une fois de plus la toute-puissance de ce roi de l’or. À cette minute, il fut vraiment superbe, toute sa mince personne bravait la destinée, les yeux sans un battement, le visage têtu, seul contre le flot de désespoir et de rancune qu’il sentait déjà monter contre lui. La salle entière bouillonnait, débordait vers son pilier ; des poings se serraient, des bouches bégayaient des paroles mauvaises ; et il avait gardé aux lèvres un inconscient sourire, qu’on pouvait prendre pour une provocation.

D’abord, au milieu d’une sorte de brouillard, il distingua Maugendre, d’une pâleur mortelle, que le capitaine Chave emmenait à son bras, en lui répétant qu’il l’avait bien prédit, avec une cruauté de joueur infime, ravi de voir les gros spéculateurs se casser les reins. Puis, ce fut Sédille, la face contractée, avec l’air fou du commerçant dont la maison croule, qui vint lui donner une poignée de main vacillante, en bon homme, comme pour lui dire qu’il ne lui en voulait point. Dès le premier craquement, le marquis de Bohain s’était écarté, passant à l’armée triomphante des baissiers, racontant à Kolb, qui se mettait prudemment à part, lui aussi, quels doutes fâcheux ce Saccard lui inspirait, depuis la dernière assemblée générale. Jantrou, éperdu, avait disparu de nouveau, à toutes jambes, pour porter le dernier cours à la baronne Sandorff, qui allait sûrement avoir une attaque de nerfs dans son coupé, comme la chose lui arrivait les jours de grosse perte.

Et c’était encore, en face de Salmon toujours muet et énigmatique, le baissier Moser et le haussier Pillerault, celui-ci provocant, la mine fière, malgré sa ruine, l’autre, qui gagnait une fortune, se gâtant la victoire par de lointaines inquiétudes.

— Vous verrez qu’au printemps nous aurons la guerre