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n’est-ce pas ? parce que c’est assez délicat… Imaginez-vous que Jacoby, mon beau-frère, vient d’avoir la gentillesse de me prévenir d’un coup qui se prépare. À la Bourse de demain, Gundermann et les autres sont décidés à faire sauter l’Universelle. Ils vont jeter tout le paquet sur le marché… Jacoby a déjà les ordres, il est accouru…

— Fichtre ! lâcha simplement Daigremont devenu pâle.

— Vous comprenez, j’ai de très fortes positions à la hausse engagées chez moi, oui ! pour une quinzaine de millions, de quoi y laisser bras et jambes… Alors, n’est-ce pas ? j’ai pris une voiture et je fais le tour de mes clients sérieux. Ce n’est pas correct, mais l’intention est bonne…

— Fichtre ! répéta l’autre.

— Enfin, mon bon ami, comme vous jouez à découvert, je viens vous prier de me couvrir ou de défaire votre position. 

Daigremont eut un cri :

— Défaites, défaites, mon cher… Ah ! non, par exemple ! je ne reste pas dans les maisons qui croulent, c’est de l’héroïsme inutile… N’achetez pas, vendez ! J’en ai pour près de trois millions chez vous, vendez, vendez tout.

Et, comme Delarocque se sauvait, en disant qu’il avait d’autres clients à voir, il lui prit les mains, les serra énergiquement.

— Merci, je n’oublierai jamais. Vendez, vendez tout ! 

Resté seul, il rappela son valet de chambre, pour se faire arranger la chevelure et la barbe. Ah ! quelle école ! il avait failli, cette fois, se laisser jouer comme un enfant. Voilà ce que c’était que de se mettre avec un fou !

Le soir, à la petite Bourse de huit heures, la panique commença. Cette Bourse se tenait alors sur le trottoir du boulevard des Italiens, à l’entrée du passage de l’Opéra ; et il n’y avait là que la coulisse, opérant au milieu