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doute, permettait aux employés et aux spéculateurs de se mettre en contact direct avec les agents. Derrière, dans l’angle formé par deux autres branches, se tenait, en pleine foule, le marché des rentes françaises, où chaque agent était représenté, ainsi qu’au marché du comptant, par un commis spécial, ayant son carnet distinct ; car les agents de change, autour de la corbeille, ne s’occupent exclusivement que des marchés à terme, tout entiers à la grande besogne effrénée du jeu.

Mais, apercevant, dans la travée de gauche, son fondé de pouvoir Berthier qui lui faisait un signe, Mazaud alla échanger avec lui quelques mots à demi-voix, les fondés de pouvoir n’ayant que le droit d’être dans les travées, à distance respectueuse de la rampe de velours rouge, qu’aucune main profane ne saurait toucher. Chaque jour, Mazaud venait ainsi à la Bourse avec Berthier et ses deux commis, celui du comptant et celui de la rente, auxquels se joignait le plus souvent le liquidateur de la charge ; sans compter l’employé aux dépêches qui était toujours le petit Flory, la face de plus en plus enfouie dans son épaisse barbe, d’où ne sortait que l’éclat de ses yeux tendres. Depuis son gain de dix mille francs, au lendemain de Sadowa, Flory, affolé par les exigences de Chuchu devenue capricieuse et dévorante, jouait éperdument à son compte, sans calcul aucun d’ailleurs, tout au jeu de Saccard qu’il suivait avec une foi aveugle. Les ordres qu’il connaissait, les télégrammes qui lui passaient par les mains, suffisaient à le guider. Et, justement, comme il descendait en courant du télégraphe, installé au premier étage, les deux mains pleines de dépêches, il dut faire appeler par un garde Mazaud, qui lâcha Berthier, pour venir contre la guitare.

— Monsieur, faut-il aujourd’hui les dépouiller et les classer ?

— Sans doute, si elles arrivent ainsi en masse… Qu’est-ce que c’est que tout ça ?

— Oh ! de l’Universelle, des ordres d’achat, presque toutes.