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— Mais, dit Pillerault ricanant, qui vous dit que Gundermann est à la baisse ? 

Du coup, Moser arrondit des yeux effarés. Depuis longtemps, le gros commérage de la Bourse était que Gundermann guettait Saccard, qu’il nourrissait la baisse contre l’Universelle, en attendant d’étrangler celle-ci, à quelque fin de mois, d’un effort brusque, lorsque l’heure serait venue d’écraser le marché sous ses millions ; et, si cette journée s’annonçait si chaude, c’était que tous croyaient, répétaient que la bataille allait enfin être pour ce jour-là, une de ces batailles sans merci où l’une des deux armées reste par terre, détruite. Mais est-ce qu’on était jamais certain, dans ce monde de mensonge et de ruse ? Les choses les plus sûres, les plus annoncées à l’avance, devenaient, au moindre souffle, des sujets de doute pleins d’angoisse.

— Vous niez l’évidence, murmura Moser. Sans doute, je n’ai pas vu les ordres, et on ne peut rien affirmer… Hein ? Salmon, qu’est-ce que vous en dites ? Gundermann ne peut pas lâcher, que diable ! 

Et il ne savait que croire devant le sourire silencieux de Salmon qui lui semblait s’amincir, d’une finesse extrême.

— Ah ! reprit-il, en désignant du menton un gros homme qui passait, si celui-là voulait parler, je ne serais pas en peine. Il voit clair. 

C’était le célèbre Amadieu, qui vivait toujours sur sa réussite, dans l’affaire des mines de Selsis, les actions achetées à quinze francs, en un coup d’entêtement imbécile, revendues plus tard avec un bénéfice d’une quinzaine de millions, sans qu’il eût rien prévu ni calculé, au hasard. On le vénérait pour ses grandes capacités financières, une véritable cour le suivait, en tâchant de surprendre ses moindres paroles et en jouant dans le sens qu’elles semblaient indiquer.

— Bah ! s’écria Pillerault, tout à sa théorie favorite du casse-cou, le mieux est encore de suivre son idée, au petit bonheur… Il n’y a que la chance. On a de la chance ou l’on