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X


À cette fin d’année, le jour de la liquidation de décembre, la grande salle de la Bourse se trouva pleine dès midi et demi, dans une extraordinaire agitation de voix et de gestes. Depuis quelques semaines, d’ailleurs, l’effervescence montait, et elle aboutissait à cette dernière journée de lutte, une cohue fiévreuse où grondait déjà la décisive bataille qui allait s’engager. Dehors, il gelait terriblement ; mais un clair soleil d’hiver pénétrait, d’un rayon oblique, par le haut vitrage, égayant tout un côté de la salle nue, aux sévères piliers, à la voûte triste, que glaçaient encore des grisailles allégoriques ; tandis que des bouches de calorifères, tout le long des arcades, soufflaient une haleine tiède, au milieu du courant froid des portes grillagées, continuellement battantes.

Le baissier Moser, plus inquiet et plus jaune que de coutume, se heurta contre le haussier Pillerault, arrogamment planté sur ses hautes jambes de héron.

— Vous savez ce qu’on dit ?…

Mais il dut élever la voix, pour se faire entendre, dans le bruit croissant des conversations, un roulement régulier, monotone, pareil à une clameur d’eaux débordées, coulant sans fin.

— On dit que nous aurons la guerre en avril… Ça ne peut pas finir autrement, avec ces armements formidables. L’Allemagne ne veut pas nous laisser le temps d’appliquer la nouvelle loi militaire que va voter la Chambre… Et, d’ailleurs, Bismarck…