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— En 1852, vous êtes descendu dans un hôtel meublé de la rue de la Harpe, vous y avez souscrit douze billets de cinquante francs à une demoiselle Rosalie Chavaille, âgée de seize ans, que vous avez violentée, un soir, dans l’escalier… Ces billets, les voici. Vous n’en avez pas payé un seul, car vous êtes parti sans laisser d’adresse, avant l’échéance du premier. Et le pis est qu’ils sont signés d’un faux nom, Sicardot, le nom de votre première femme… 

Très pâle. Saccard écoutait, regardait. C’était, au milieu d’un saisissement inexprimable, tout le passé qui s’évoquait, une sensation d’écroulement, une masse énorme et confuse qui retombait sur lui. Dans cette peur de la première minute, il perdit la tête, il bégaya.

— Comment savez-vous ?… Comment avez-vous ça ? 

Puis, de ses mains tremblantes, il se hâta de tirer de nouveau son portefeuille, n’ayant que l’idée de payer, de rentrer en possession de ce dossier fâcheux.

— Il n’y a pas de frais, n’est-ce pas ?… C’est six cents francs… Oh ! il y aurait beaucoup à dire, mais j’aime mieux payer, sans discussion. 

Et il tendit six billets de banque.

— Tout à l’heure ! cria Busch, qui repoussa l’argent. Je n’ai pas terminé… Madame, que vous voyez là, est la petite-cousine de Rosalie, et ces papiers sont à elle, c’est en son nom que je poursuis le remboursement… Cette pauvre Rosalie est restée infirme, à la suite de votre violence. Elle a eu beaucoup de malheurs, elle est morte dans une misère affreuse, chez madame, qui l’avait recueillie… Madame, si elle voulait, pourrait vous raconter des choses…

— Des choses terribles !  accentua de sa petite voix la Méchain, rompant son silence.

Effaré, Saccard se tourna vers elle, l’ayant oubliée, tassée là comme une outre dégonflée à demi. Elle l’avait toujours inquiété, avec son louche commerce d’oiseau de carnage sur les valeurs déclassées ; et il la retrouvait, mêlée à cette histoire désagréable.