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de la Bourse. Il y faisait encore plein jour, à ces hauteurs, au-dessus de la brume dont la pluie emplissait le fond des rues. La pièce était d’une nudité froide, avec son étroit lit de fer, sa table et ses deux chaises, ses quelques planches encombrées de livres, sans un meuble. Devant la cheminée, un petit poêle, mal entretenu, oublié, venait de s’éteindre.

— Asseyez-vous, monsieur. Mon frère m’a dit qu’il ne faisait que descendre et remonter. 

Mais Saccard refusait la chaise en le regardant, frappé des progrès que la phtisie avait faits chez ce grand garçon pâle, aux yeux d’enfant, des yeux noyés de rêve, singuliers sous l’énergique obstination du front. Entre les longues boucles de ses cheveux, son visage s’était extraordinairement creusé, comme allongé et tiré vers la tombe.

— Vous avez été souffrant ?  demanda-t-il, ne sachant que dire.

Sigismond eut un geste de complète indifférence.

— Oh ! comme toujours. La dernière semaine n’a pas été bonne, à cause de ce vilain temps. Mais ça va bien tout de même… Je ne dors plus, je ne puis travailler, et j’ai un peu de fièvre, ça me tient chaud… Ah ! on aurait tant à faire ! 

Il s’était remis devant sa table, sur laquelle un livre, en langue allemande, se trouvait grand ouvert. Et il reprit :

— Je vous demande pardon de m’asseoir, j’ai veillé toute la nuit, pour lire cette œuvre que j’ai reçue hier… Une œuvre, oui ! dix années de la vie de mon maître, Karl Marx, l’étude qu’il nous promettait depuis longtemps sur le capital !… Voici notre Bible, maintenant, la voici ! 

Curieusement, Saccard vint jeter un regard sur le livre ; mais la vue des caractères gothiques le rebuta tout de suite.

— J’attendrai qu’il soit traduit, dit-il en riant.

Le jeune homme, d’un hochement de tête, sembla dire que, même traduit, il ne serait guère pénétré que par les seuls initiés. Ce n’était pas un livre de propagande. Mais