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À ce moment, Saccard sortait du bureau de Jantrou, et il s’étonna de la trouver là encore.

— Comment, madame, votre coureur de mari ne fait que de revenir ? Je vous disais bien d’entrer l’attendre dans mon cabinet.

Elle le regardait fixement, une pensée soudaine s’était éveillée dans ses grands yeux désolés. Elle ne réfléchit même pas, elle céda à cette bravoure qui jette les femmes en avant, aux minutes de passion.

— Monsieur Saccard, j’ai quelque chose à vous demander… Si vous vouliez bien, maintenant, que nous passions chez vous…

— Mais certainement, madame. 

Jordan, qui craignait d’avoir deviné, voulait la retenir.

Il lui balbutiait à l’oreille des : non ! non ! entrecoupés, dans l’angoisse maladive où le jetaient toujours ces questions d’argent. Elle s’était dégagée, il dut la suivre.

— Monsieur Saccard, reprit-elle, dès que la porte fut refermée, mon mari court inutilement depuis deux heures pour trouver cinq cents francs, et il n’ose pas vous les demander… Alors, moi, je vous les demande… 

Et, de verve, avec ses airs drôles de petite femme gaie et résolue, elle conta son affaire du matin, l’entrée brutale de Busch, l’envahissement de sa chambre par les trois hommes, comment elle était parvenue à repousser l’assaut, l’engagement qu’elle avait pris de payer le jour même. Ah ! ces plaies d’argent pour le petit monde, ces grandes douleurs faites de honte et d’impuissance, la vie remise sans cesse en question, à propos de quelques misérables pièces de cent sous !

— Busch, répéta Saccard, c’est ce vieux filou de Busch qui vous tient dans ses griffes… 

Puis, avec une bonhomie charmante, se tournant vers Jordan, qui restait silencieux, blême d’un insupportable malaise.

— Eh bien, je vais vous les avancer, moi, vos cinq cents francs. Vous auriez dû me les demander tout de suite.