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cambre, le procureur général vous exècre… Et, ce que vous ignorez encore, l’empereur l’a nommé ce matin ministre de la Justice. 

Brusquement, Saccard s’était arrêté. Le visage assombri, il dit enfin :

— Encore de la propre marchandise ! Ah ! on a fait un ministre de ça. Qu’est-ce que vous voulez que ça me fiche ?

— Dame ! reprit Huret en exagérant son air simple, si un malheur vous arrivait, comme ça arrive à tout le monde, dans les affaires, votre frère veut que vous ne comptiez pas sur lui, pour vous défendre contre Delcambre.

— Mais, tonnerre de Dieu ! hurla Saccard, quand je vous dis que je me fous de toute la clique, de Rougon, de Delcambre, et de vous par-dessus le marché ! 

Heureusement, à cette minute, Daigremont entra. Il ne montait jamais au journal, ce fut une surprise pour tous, qui coupa court aux violences. Très correct, il distribua des poignées de main en souriant, d’une amabilité flatteuse d’homme du monde. Sa femme allait donner une soirée, où elle chanterait ; et il venait simplement inviter en personne Jantrou, pour avoir un bon article. Mais la présence de Saccard parut le ravir.

— Comment va, grand homme ?

— Dites donc, vous n’avez pas vendu, vous ?  demanda celui-ci, sans répondre.

Vendre, ah ! non, pas encore ! Et son éclat de rire fut très sincère, il était réellement de solidité plus grande.

— Mais il ne faut jamais vendre, dans notre situation ! s’écria Saccard.

— Jamais ! c’est ce que je voulais dire. Nous sommes tous solidaires, vous savez que vous pouvez compter sur moi. 

Ses paupières avaient battu, il venait d’avoir un regard oblique, tandis qu’il répondait des autres administrateurs, de Sédille, de Kolb, du marquis de Bohain, comme de lui-même. L’affaire marchait si bien, c’était vraiment