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elle fit la vaillante, elle expliqua gaiement qu’elle avait envoyé son mari dans le quartier, une course ennuyeuse dont elle s’était débarrassée. Saccard, qui avait de l’amitié pour le petit ménage, comme il les nommait, voulait absolument qu’elle entrât chez lui attendre à l’aise. Elle s’en défendit, elle était bien là. Et il cessa d’insister, dans la surprise qu’il éprouva, à se trouver nez à nez, brusquement, avec la baronne Sandorff, qui sortait de chez Jantrou. D’ailleurs, ils se sourirent, d’un air d’aimable intelligence, en gens qui échangent un simple salut, pour ne pas s’afficher.

Jantrou, dans leur conversation, venait de dire à la baronne qu’il n’osait plus lui donner de conseil. Sa perplexité augmentait, devant la solidité de l’Universelle, sous les efforts croissants des baissiers : sans doute Gundermann l’emporterait, mais Saccard pouvait durer longtemps, et il y avait peut-être gros à gagner encore avec lui. Il l’avait décidée à temporiser, à les ménager tous deux. Le mieux était de tâcher d’avoir toujours les secrets de l’un, en se montrant aimable, de manière à les garder pour elle et à en profiter, ou bien à les vendre à l’autre, selon l’intérêt. Et cela sans complot noir, arrangé par lui d’un air de plaisanterie, tandis qu’elle-même lui promettait en riant de le mettre dans l’affaire.

— Alors, elle est sans cesse fourrée chez vous, c’est votre tour ?  dit Saccard avec sa brutalité, en entrant dans le cabinet de Jantrou.

Celui-ci joua l’étonnement.

— Qui donc ?… Ah ! la baronne…. Mais, mon cher maître, elle vous adore. Elle me le disait encore tout à l’heure. 

D’un geste d’homme qu’on ne trompe pas, le vieux corsaire l’avait arrêté. Et il le regardait, dans sa déchéance de basse débauche, en pensant que, si elle avait cédé à la curiosité de savoir comment Sabatani était fait, elle pouvait bien vouloir goûter au vice de cette ruine.

— Ne vous défendez pas, mon cher. Quand une femme