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cher la source, quand l’argent arrive. Oh ! Théodore comprend très bien, attendu que si papa a davantage de rente, c’est davantage de capital qui nous reviendra un jour. Dame ! c’est à considérer… Et voilà, tout le monde attend. On a les six mille francs depuis des mois, on pourrait se marier ; mais on aime mieux les laisser faire des petits… Est-ce que vous lisez les articles sur les actions, vous ?

Et, sans attendre la réponse :

— Moi, je les lis, le soir. Papa m’apporte les journaux… Il les a déjà lus, et il faut que je les lui relise… Jamais on ne s’en lasserait, tant c’est beau, tout ce qu’ils promettent. Quand je me couche, j’en ai la tête pleine, j’en rêve la nuit. Et papa me dit aussi qu’il voit des choses qui sont un très bon signe. Avant-hier, nous avons fait le même songe, des pièces de cent sous que nous ramassions à la pelle, dans la rue. C’est très amusant. 

De nouveau, elle s’interrompit pour demander :

— Combien avez-vous d’actions, vous ?

— Nous, pas une !  répondit Marcelle.

La petite figure blonde de Nathalie, avec ses mèches pâles envolées, prit un air de commisération immense. Ah ! les pauvres gens qui n’avaient pas d’actions ! Et, son père l’ayant appelée, pour la charger de remettre un paquet d’épreuves à un rédacteur, en remontant aux Batignolles, elle s’en alla, avec une importance amusante de capitaliste, qui, presque tous les jours, maintenant, descendait au journal, afin de connaître plus tôt le cours de la Bourse.

Restée seule sur la banquette, Marcelle retomba dans une songerie mélancolique, elle si gaie et si brave d’habitude. Mon Dieu ! qu’il faisait noir, qu’il faisait triste ! et son pauvre mari qui courait les rues par cette pluie diluvienne ! Il avait un tel mépris de l’argent, un tel malaise à la seule idée de s’en occuper, cela lui coûtait un si gros effort d’en demander, même à ceux qui lui en devaient ! Et, absorbée, n’entendant rien, elle revivait sa journée depuis son réveil, cette journée mauvaise ; tan-