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de l’Espérance, pour rendre compte de sa démarche à Jantrou, sans le rencontrer. Dejoie enfin l’introduisit, un jour que sa fille Nathalie causait avec madame Jordan sur une banquette du couloir. Il tombait, depuis la veille, une pluie diluvienne ; et, par ce temps humide et gris, l’entresol du vieil hôtel, au fond du puisard assombri de la cour, était d’une mélancolie affreuse. Le gaz brûlait dans un demi-jour boueux. Marcelle, qui attendait Jordan en chasse pour donner un nouvel acompte à Busch, écoutait d’un air triste Nathalie caquetant comme une pie vaniteuse, avec sa voix sèche, ses gestes aigus de fille de Paris poussée trop vite.

— Vous comprenez, madame, papa ne veut pas vendre…

— Il y a une personne qui le pousse à vendre, en tâchant de lui faire peur. Je ne la nomme pas, cette personne, parce que son rôle, bien sûr, n’est guère d’effrayer le monde… C’est moi, maintenant, qui empêche papa de vendre… Plus souvent que je vende, quand ça monte ! Faudrait être joliment godiche, n’est-ce pas ?

— Certes ! répondit simplement Marcelle.

— Vous savez que nous sommes à deux mille cinq cents, continua Nathalie. Je tiens les comptes, moi, car papa ne sait guère écrire… Alors, avec nos huit actions, ça nous donne déjà vingt mille francs. Hein ? c’est joli !… Papa voulait d’abord s’arrêter à dix-huit mille, ça faisait son chiffre : six mille francs pour ma dot, et douze mille pour lui, une petite rente de six cents francs, qu’il aurait bien gagnée, avec toutes ces émotions… Mais est-ce heureux, dites ? qu’il n’ait pas vendu, puisque voilà encore deux mille francs de plus !… Alors, maintenant, nous voulons davantage, nous voulons une rente de mille francs au moins. Et nous l’aurons, monsieur Saccard nous l’a bien dit… Il est si gentil, monsieur Saccard ! »

Marcelle ne put s’empêcher de sourire.

— Vous ne vous mariez donc plus ?

— Si, si, lorsque ça aura fini de monter… Nous étions pressés, le père de Théodore surtout, à cause de son commerce. Seulement, que voulez-vous ? on ne peut pas bou-