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Mais, d’un nouveau geste, avec son continuel rire, elle sembla dire qu’elle s’en moquait bien, qu’on fût jeune ! Elle avait cédé à des moins jeunes, à des moins beaux encore, à de pauvres diables souvent.

— Pourquoi alors, dites pourquoi ?

— Mon Dieu ! c’est simple… Parce que vous ne me plaisez pas. Avec vous, jamais ! 

Et elle restait tout de même très aimable, l’air désolé de ne pouvoir le satisfaire.

— Voyons, reprit-il brutalement, ce sera ce que vous voudrez… Voulez-vous mille, voulez-vous deux mille, pour une fois, une seule fois ? 

À chaque surenchère qu’il mettait, elle disait non de la tête, gentiment.

— Voulez-vous… Voyons, voulez-vous dix mille, voulez-vous vingt mille ? 

Doucement, elle l’arrêta, en posant sa petite main sur la sienne.

— Pas dix, pas cinquante, pas cent mille ! Vous pourriez monter longtemps comme ça, ce serait non, toujours non… Vous voyez bien que je n’ai pas un bijou sur moi. Ah ! on m’en a offert, des choses, de l’argent, et de tout ! Je ne veux rien, est-ce que ça ne suffit pas, quand ça fait plaisir ?… Mais comprenez donc que mon mari m’aime de tout son cœur, et que je l’aime aussi beaucoup, moi. C’est un très honnête homme, mon mari. Alors, bien sûr que je ne vais pas le tuer en lui causant du chagrin… Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse, de votre argent, puisque je ne peux pas le donner à mon mari ? Nous ne sommes pas malheureux, nous nous retirerons un jour avec une jolie fortune ; et, si ces messieurs me font tous l’amitié de continuer à se fournir chez nous, ça, je l’accepte… Oh ! je ne me pose pas pour plus désintéressée que je ne suis. Si j’étais seule, je verrais. Seulement, encore un coup, vous ne vous imaginez pas que mon mari prendrait vos cent mille francs, après que j’aurais couché avec vous… Non, non ! pas pour un million ! 

Et elle s’entêta. Saccard, exaspéré par cette résistance