Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/268

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah ! le jeu ! murmura-t-elle.

— Mais nous ne jouons pas ! cria Saccard. Seulement, il est bien permis de soutenir ses valeurs, et nous serions vraiment ineptes de ne pas veiller à ce que Gundermann et les autres ne déprécient pas nos titres en jouant contre nous à la baisse. S’ils n’ont point trop osé encore, cela peut venir. C’est pourquoi je suis assez content d’avoir en main un certain nombre de nos actions ; et, je vous en préviens, si l’on m’y force, je suis même prêt à en acheter, oui ! j’en achèterai, plutôt que de les laisser tomber d’un centime ! 

Il avait prononcé ces derniers mots avec une force extraordinaire, comme s’il eût prêté le serment de mourir plutôt que d’être battu. Puis, il s’apaisa d’un effort, il se mit à rire, de son air de bonhomie un peu grimaçante.

— Voyons, voilà que ça va recommencer, la méfiance ! Je croyais que nous nous étions expliqués une fois pour toutes sur ces choses. Vous aviez consenti à vous remettre entre mes mains, laissez-moi donc agir ! Je ne veux que votre fortune, une grande, grande fortune !

Il s’interrompit, baissa la voix, comme effrayé lui-même de l’énormité de son désir.

— Vous ne savez pas ce que je veux ? Je veux le cours de trois mille francs. 

D’un geste, il l’indiquait dans le vide, il le voyait monter comme un astre, incendier l’horizon de la Bourse, ce cours triomphal de trois mille francs.

— C’est fou ! dit madame Caroline.

— Dès que le cours aura dépassé deux mille francs, déclara Hamelin, toute hausse nouvelle deviendra un danger ; et, quant à moi, je vous avertis que je vendrai, pour ne pas tremper dans une pareille démence. 

Mais Saccard se mit à chantonner. On dit toujours qu’on vendra, et puis on ne vend pas. Il les enrichirait malgré eux. De nouveau, il souriait, très caressant, légèrement moqueur.

— Confiez-vous à moi, il me semble que je n’ai pas